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Décryptages mode

Christine Phung : la montée en puissance d’une créatrice avant-gardiste

Un air à la CocoRosie, une spontanéité naturelle, teintée de timidité… mais surtout, une soif de création incessante. Voilà l’état d’esprit de Christine Phung. Un nom qui résume son histoire et reste le point de départ de son inspiration. C’est en effet du Cambodge que vient ce nom, tombé du ciel pour sauver son père du conflit avec les Khmers rouges en 1974. Ce dernier a offert son identité à son frère convoqué par l’armée, et pris en retour le nom d’un voisin décédé. Et Phung reprit ainsi vie, comme renaissant de ses cendres. Ce n’est pas un hasard puisque phung signifie « phénix »… Christine, elle, est née en France et n’a jamais cessé d’explorer ses racines. Elle a toujours pensé de manière identitaire son envie de composer avec le textile. « Quand tu pars, tu abandonnes tout, sauf les vêtements que tu portes. Ils sont une réelle interface entre soi et les autres, à la fois protection et représentation », explique-t-elle. Un questionnement fondamental dans ses créations, au côté de ses souvenirs d’enfance auprès de sa mère, infirmière chirurgicale. « Elle me racontait toujours qu’elle recousait des gens en petits morceaux… Je pense que c’est de là qu’est venue ma fascination pour le patchwork », dit-elle avec humour.

Christine Phung

Mais à l’époque, l’orientation n’est pas si claire. Les mises en garde d’une tante, évoluant justement dans le milieu de la mode, la poussent d’abord vers les Beaux-Arts, avant de se rendre à l’évidence : elle veut faire de l’art, appliqué à la réalité. Et qu’est-ce qui allie le travail de l’espace, du corps, du motif, la communication et la production industrielle ? Le stylisme bien sûr. « Tu peux à la fois avoir les pieds sur terre et la tête complètement dans les étoiles dans cette voie », explique-t-elle. À partir de ce moment-là, Christine n’en démord plus. C’est aux côtés des créateurs Alexandre Mattiussi (AMI) et Guillaume Henry qu’elle fait ses classes à Duperré, avant d’intégrer la session pilote de création à l’Institut français de la mode.

À 24 ans, un sondage « débile » comme elle dit aujourd’hui signe la suite de son parcours : « Si les femmes ne se lancent pas dans leur entreprise personnelle entre 24 et 34 ans, après c’est quasi impossible ». KenzoSonia RykielChristophe Lemaire, See by Chloé,Vanessa BrunoLacoste, Rossignol ou encore Baby Dior la formeront dès lors durant huit années. Assez d’expérience acquise et ses 34 ans approchant, c’est en 2011 que Christine Phung lance sa marque de prêt-à-porter.

Bête de concoursAndam

Soirée de remise des prix de l’Andam. Christine Phung, gagnante du Prix des premières collections, aux côtés de Renzo Rosso, président du groupe Only the Brave, Nathalie Dufour, consultante en Management chez Higher Ailleurs et Alexandre Mattiussi, créateur de la marque AMI. 

Pour sa première collection, la créatrice s’inspirait des profondeurs d’une mine de diamants rouges. Elle sortit la tête le temps de découvrir le Mango Fashion Awards. Premier concours d’une longue série l’ayant menée au sommet. Sa stratégie ? Se lancer dans une collection pour un concours, le gagner pour pouvoir la terminer et la proposer à un autre concours. Grâce à la bourse obtenue, Christine Phung réussit à se développer : un local de 12m², dix mannequins Stockman et deux assistantes. Une fois la collection terminée, elle la présente au Grand Prix de la Ville de Paris qu’elle remporte, et découvre l’existence du salon Designer Apartment. Une opportunité qui l’amènera à rencontrer ses premiers acheteurs potentiels. Un vrai « déclic ». Christine enchaîne sur une troisième collection tout en géométrie, inspirée des champs de culture du Nevada, qu’elle présentera au deuxième salon Designer Apartment, en 2013. Et, comme chez elle, un bonheur n’arrive jamais seul, ce jour-là, l’équipe del’Andam (Association nationale de développement des arts de la mode) est présente et lui conseille de postuler à ce concours. « Et je gagne ! », raconte-t-elle encore extatique. L’événement lui permet d’intégrer le calendrier officiel de la Fashion Week parisienne. Après une cinquième ligne très hivernale, portant sur la sérénité nocturne en montagne, Christine Phung vient de dévoiler sa collection printemps-été 2015. « L’inspiration, c’est une fille qui fait de la bicyclette sur un volcan », tweete le journaliste Loïc Prigent en septembre. Ce n’est pas une blague. Évoquant la fraîcheur de la Dolce Vita et des maillots de cyclistes par un imprimé pois teinté d’un motif volcanique, Christine bouscule une nouvelle fois les codes.

Le pli, le flou et la matière

Pour s’inspirer, au-delà de ses nombreux souvenirs de voyages, la jeune femme puise dans sa fascination pour l’architecture ou le travail de la lumière d’artistes tels queJames Turrell ou Anish Kapoor. Sa démarche de création ? Dénicher ses matières auprès de tisseurs français et particulièrement les plissés auprès de la prestigieuse maison Lognon, travailler ses imprimés, ses patchworks, et enfin établir une silhouette. « Tu fais ta matière, et ensuite c’est elle qui te dit des trucs », précise-t-elle. La créatrice façonne toujours ses tissus de plusieurs manières, explore plusieurs pistes avant de déployer ses idées, à même le buste, par la technique du flou drapé. En découlent des collections féminines « archi-couture », souvent teintées d’esprit sportswear effortless. Avant-gardiste dans sa quête de techniques, on lui a souvent reconnu ses hybridations. Chez Christine Phung, le kimono et le teddy ne cessent d’être questionnés, une parka devient une robe, une écharpe semble être une veste, un motif pixelisé se déforme une fois plissé, et les dentelles se retrouvent injectées de silicone.

Aujourd’hui, à la tête d’une équipe de dix employés dans son atelier de 35 m² du XIe arrondissement de Paris, Christine Phung est consciente d’avoir le vent en poupe et ne compte pas relâcher la pression. Vendue en France (aux Galeries Lafayette,L’Exception, Montaigne Market…), en Russie et en Nouvelle-Calédonie, la créatrice étend son style avec stratégie.

Article rédigé pour le Madame Figaro.fr